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5 décembre 2009 6 05 /12 /décembre /2009 12:16

Café géo organisé en partenariat avec le Musée des Confluences et animé par :
   Rémy Knafou, professeur émérite à l’Université Paris 1.
   Régis Marcon, chef cuisinier, « Le Clos des Cimes » (Saint-Bonnet-le-Froid, 43).


On se tape la Cloche à Lyon en ce mercredi soir ! Aux fourneaux, Rémy Knafou (professeur émérite à Paris I, spécialiste de la géographie du tourisme) et Régis Marcon (trois macarons au guide Michelin pour son restaurant « Le Clos des Cimes » à Saint-Bonnet-le-froid (43)) nous préparent un menu géo-gastronomique autour de la question suivante : « Terroir et territoire : vers une gastronomie hors sol ? ».

 

R.K. : La première thématique est celle du lien entre la gastronomie et le terroir. A l’heure actuelle, le terme de terroir est dans l’air du temps. Cette demande de terroir est traitée différemment selon les chefs de la haute cuisine. Par définition, la cuisine s’est alimentée au terroir et aujourd’hui, le terroir est transfiguré par la cuisine vers la haute qualité, à l’exemple des AOC. On le voit, le lien gastronomie-terroir se fait dans les deux sens : des chefs mettent en valeur le terroir, et le terroir se sert des chefs, à l’instar de la lentille verte du Puy, promue par Régis Marcon. C’est d’ailleurs ce dernier sens qui prime sur le premier, car la plupart des grands chefs se sont dégagés des terroirs. Par exemple, le voyage en Asie a été quelque chose de marquant pour les grands chefs français. Désormais, le Monde est notre terroir, le terroir d’une cuisine qui se veut plus que jamais art de l’assemblage, et ce grâce à la possibilité matérielle d’acheminer les meilleurs produits du Monde dans de bonnes conditions. Mais ne nous y trompons pas, il s’agit d’un phénomène ancien, même si les proportions, elles, sont inédites. En effet, les épices en provenance d’Orient se trouvaient dans la cuisine dès le Moyen-Age. Aujourd’hui, c’est la facilité d’appel à ces produits lointains qui est remarquable.

Parmi les exceptions marquantes en France à ce recours au terroir mondial : Michel Bras et Régis Marcon. Michel Bras est la référence contemporaine de la ré-interprétation du terroir avec sa conception de la totalité du terroir : son restaurant va de paire avec son hôtel. Ce dernier est conçu pour laisser s’exprimer l’Aubrac dans lequel il s’inscrit, en séparant par exemple les chambres par des petits sentiers rappelant la « draille », les chemins de transhumance. Il y a là une remarquable cohérence du produit autour d’un terroir ouvert sur le Monde, pensée par un chef d’un talent exceptionnel et mise en œuvre avec l’aide de professionnels de la communication.

R.M. : J’ai tout de suite accepté de participer à ce café géo car l’association de la gastronomie et du tourisme est au cœur de mon projet. Je tiens à préciser d’emblée qu’il ne faut pas confondre le terroir avec le « terroir-caisse », car nous sommes dans un monde de la communication qui joue sur le caractère nostalgique du terme « terroir ». C’est pourquoi je préfère l’expression « cuisine de territoire ». Car qu’est-ce que le tourisme sinon la découverte des lieux, du « local » ? Dans un restaurant, on veut retrouver le territoire. C’est la raison pour laquelle les guides on un rôle si important. C’est aussi la raison pour laquelle je n’aime pas cette ségrégation entre la restauration et la gastronomie : pour moi, la gastronomie c’est l’ensemble de la restauration.

Néanmoins, il est important que l’on puisse identifier un cuisinier à un produit, car c’est dans ce lien que se trouve le rapport primordial au producteur et le côté institutionnel du cuisinier qui est avant tout un nourricier. Pour moi, il s’agit de deux produits : les lentilles et les champignons. Les champignons, c’est une passion, celle de la découverte du produit. Connaître le produit fait avancer la cuisine. De plus, c’est aussi la chaleur que l’on recherche dans une maison, et cette chaleur se créer autour du partage de la cuisine avec les clients eux aussi passionnées. C’est pourquoi les restaurants sont à la fois des lieux de gastronomie et des lieux qui racontent un pays. Par exemple Saint-Bonnet, devenu « village gourmand » car sur ses 200 habitants, 95 travaillent dans la restauration. J’ai voulu y insister sur le rapport qualité/prix (par exemple avec la création d’une boulangerie bio pratiquant les mêmes tarifs que les autres boulangeries) car le terroir et la gastronomie associés donnent sens à la vie. Néanmoins, il est nécessaire de sortir de son terroir pour avancer. Je l’ai fait notamment par des voyages en Asie où j’ai été frappé par l’accueil chaleureux et la très grande exigence des populations locales, qui à la fois nous renvoient au fait que la cuisine c’est l’accueil, et nous enseignent l’humilité.

R.K. : Une précision sur l’humilité : j’ai été frappé par la formation constante des chefs et des brigades, justement dans cet esprit d’humilité. Par exemple vous, Régis Marcon, bien que chef au sommet de la hiérarchie, avez récemment fait un stage chez une jeune chef « naturopathe » pour apprendre à cuisiner des mets plus digestes.

Pour revenir à notre sujet, il semble toutefois que la référence au terroir soit souvent discrète, voire absente chez la plupart des grands chefs (ainsi, récemment, chez Philippe Rochat, à Crissier, le chef le plus reconnu de Suisse, aucune référence au terroir, sauf avec quelques fromages des montagnes voisines). Mais, par exemple, au dernier classement des chefs mondiaux produit par une revue britannique, le troisième était un Danois (1er : Espagnol, 2° : Anglais) dont le discours est très régionaliste. C’est le chef de file de la cuisine nordique ; il a d’ailleurs été nommé ambassadeur pour la nouvelle cuisine nordique. Son discours est très militant, à la limite du nationalisme, et témoigne d’une exploitation commerciale non exempte de démagogie d’une relation portée aux nues entre un terroir qui, certes, fournit des produits de grande qualité - essentiellement de la mer - et cette cuisine.

R.M. : Il ne faut pas oublier que ce genre de classements mondiaux sont avant tout un outil de communication. En revanche, les Nordiques ont fait une réelle avancée dans les concours comme en témoignent les résultats des Bocuse d’or. Cela vient de leur esprit guerrier et de l’adaptation de la cuisine gastronomique au bistrot : l’ambiance et le service ne sont pas guindés. Il s’agit d’une décontraction de la cuisine, également fondée sur une relation avec les producteurs qui est essentielle.

R.K. : Il nous faut aborder pour finir ce qui sera une première partie le contexte dans lequel se forme le goût. Alain Ducasse, chef mondialisé par excellence, parle de son terroir de naissance - la Chalosse - comme la « mesure étalon du goût originel ». Abordons maintenant un deuxième thème, celui du patrimoine gastronomique. Existe-t-il un patrimoine gastronomique français ? Doit-il être protégé ? Certes, il existe, mais ce n’est pas le seul patrimoine gastronomique, comme souvent la vision auto-satisfaite de la gastronomie française le laisse à penser. On peut manger très bien partout. Notons que la première ville classée par l’UNESCO au titre de sa gastronomie est Popayan en Colombie ! Le patrimoine, c’est ce que nous recevons de nos prédécesseurs et que nous transmettons à nos successeurs. L’UNESCO a élargi cette définition aux aspects immatériels, comme la récitation védique en Inde ou un moussem (rassemblement éphémère) au Maroc. Joël Robuchon estime que le classement de la cuisine française au patrimoine de l’humanité serait une manière de la pétrifier et de renforcer le sentiment d’arrogance souvent perçu à l’étranger.

On ne parle d’une cuisine française reconnue que depuis le XIX° siècle, et n’oublions pas que la grande sauce française de ce patrimoine est la « sauce espagnole » et que le grand service est le service « à la russe » (mets découpés dans les plats). De plus, la cuisine française est une mosaïque de cuisines régionales, ce qui a été pris en compte notamment par le « Club des Cent » (1920) qui réunissait des gastronomes ayant parcouru plus de 4 000 km pour aller goûter les cuisines régionales.

R.M. : Classer la cuisine française manque d’humilité. L’idée est bonne, mais tous les pays doivent s’y mettre. La cuisine française est par essence métissée, elle s’est reconstruite avec des produits italiens sous Catherine de Médicis, ou avec des chefs qui partaient à l’étranger par exemple. Ce qui est apprécié, c’est l’art de vivre à la française. Enfin, il est important de ne pas trop s’accrocher aux souvenirs. Il est difficile et risqué de figer la cuisine. Ce qui est indispensable pour les parcs naturels est peut-être superflu avec la cuisine. Les recettes, même héritées, changent. En effet, les réflexions du client font évoluer la cuisine, ce qui a permis notamment la disparition de la sauce espagnole passe-partout.

R.K. : En effet, le patrimoine gastronomique est quelque chose de vivant. Il s’agit de faire vivre un héritage, de le faire évoluer. C’est comme cela que la cuisine française a su se démarquer des autres cuisines, notamment par la compétition des chefs des hôtels de la noblesse ayant perdu leur emploi suite à la Révolution. Ces derniers pour vivre devaient innover afin d’attirer les clients, alors que les cuisiniers des grandes maisons sous les monarchies étaient enfermés dans la monotonie.(cf. Histoire des passions françaises de Théodore Zeldin).

Un dernier point, celui du tourisme initié autour de la gastronomie. Nous ne disposons pas encore de statistiques sérieuses sur le tourisme gastronomique, mais le fait est que les trois macarons (= vaut le voyage, selon l’intuition du Guide Michelin dès 1931) accélèrent la fréquentation des restaurants en attirant notamment la clientèle internationale. Aujourd’hui, avec la mondialisation du marché de la gastronomie et les facilités de déplacement, certaines grandes tables sont des destinations de voyage. D’où le pari de certains d’ouvrir un restaurant hors des sentiers battus (c’est-à-dire les grandes aires métropolitaines, Paris et Londres par exemple), voire dans de véritables angles morts, comme Michel Bras à Laguiole ou Jean-Georges Klein à l’Arnsbourg, dans les Vosges du Nord. Sur ce modèle, Ferran Adriá joue de la notoriété mondiale de son « El Bulli » pour organiser la rareté : 8 000 couverts par an (bientôt 7 000) pour deux millions de demandes ! Si bien que ce restaurant est le seul au Monde à exister avant tout dans les médias, la possibilité de pouvoir y manger - pour ceux qui en ont l’envie et les moyens - étant statistiquement faible !

R.M. : Ferran a beaucoup apporté à la cuisine, mais il ne contrôle plus son succès. Il réinterprète des recettes catalanes en jouant sur l’acte de manger, en particulier en variant les textures.

 

URL pour citer cet article: http://www.cafe-geo.net/article.php3?id_article=1662

 

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