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15 janvier 2013 2 15 /01 /janvier /2013 13:46

Sur le blog de Thierry Philip


Lettre ouverte sur l’homoparentalité

Dans une lettre ouverte adressée au président de la République, à plusieurs ministres, au président de l’Assemblée nationale, aux président, Vice-présidents et secrétaires de la Commission des lois, aux journalistes, le Dr Marc Pilliot, pédiatre libéral à Roubaix, tente de mettre à distance les peurs et les fantasmes qui nourrissent les polémiques autour du « mariage pour tous ».

“Depuis quelques décennies, nous assistons à des « métamorphoses de la parenté » selon le terme de l’anthropologue Maurice Cordelier, la plus récente étant l’arrivée d’un enfant dans les couples de même sexe. Depuis quelques années, c’est une réalité sociale et ces familles ressemblent beaucoup aux familles ordinaires. La situation est nouvelle et prête le flanc à tous les fantasmes et à tous les préjugés. Les un(e)s militent pour l’égalité des couples et au nom de l’amour ; les autres crient au scandale et prédisent les pires désordres psychiques pour ces enfants « victimes » d’une situation aberrante.

La société a trop tendance à oublier que le nouveau-né, l’enfant, l’être humain en général, ont une extraordinaire capacité d’adaptation. Il y a 35 ans environ, le premier bébé né par Fécondation in Vitro était appelé « bébé éprouvette », comme si cet embryon-là était un produit manufacturé.

Et pourtant, 30 ans plus tard, ce bébé est devenu une femme adulte capable d’être heureuse, de procréer et d’avoir un enfant tout à fait « naturellement ». Surprise des Médias ! Surprise de la société à ce moment-là ! Par crainte de l’emballement technologique, par peur des changements sociétaux rapides, la société ne voit plus que les enfants sont toujours des êtres humains, quel que soit leur mode de fabrication et quel que soit le milieu dans lequel ils arrivent. Non, ce ne sont pas des mutants bizarres et dangereux ! Ce ne sont pas des êtres « déshumanisés » ! Il y a toujours une naissance, une rencontre, un regard, une communication avec des adultes, un accompagnement par des parents ou par ceux et celles qui entourent et éduquent l’enfant.

Comment prendre de la distance pour ne pas être victimes de nos peurs et de nos fantasmes ? (…)

Le mariage a changé de sens : il est devenu la reconnaissance sociale d’un amour. Mais l’amour est individuel, incontrôlable et, de ce fait, il nous rend vulnérables (…) le « mariage d’amour » ne crée pas du social comme autrefois et rend même notre Société vulnérable. Mais, restons logiques : je doute fort que notre Société veuille revenir en arrière, vers les mariages forcés ; acceptons les mariages d’amour, même si cela rend la société plus vulnérable (comme le fait aussi la Démocratie). En fait, c’est le prix à payer pour le développement et l’épanouissement de l’individu.


Le sens de la « filiation »

Qui dit mariage, dit aussi famille, voire filiation parfois. Là aussi, levons les quiproquos. Dans l’histoire humaine, nombreux sont les enfants qui ont été élevés par un père et une mère qui n’étaient pas les géniteurs de l’enfant, voire seulement par des femmes car le père était parti ou mort, à la guerre ou ailleurs. Il faut distinguer, d’une part, la « procréation » qui est une histoire de gamètes mâles et femelles et, d’autre part, la « filiation » qui est une construction sociale et psychique venant confirmer un choix de vie, un choix d’amour (…) Les couples de même sexe qui désirent un enfant ont le même discours que les couples hétérosexuels : cet enfant est le fruit de leur histoire d’amour et cela est, en soi, déjà structurant.

Qu’y a-t-il de choquant ? Rien de plus banal en quelque sorte !

Le processus d’identification sexuelle

Si la filiation est une fabrication sociale pour donner du sens et des repères, doit-elle toujours être hétérosexuelle, fabriquée par un père et une mère ? Que fait-on avec la complexité de chaque famille ? Il n’y a pas de famille « normale » ; il n’y a que des familles qui se débattent dans leurs histoires, leurs secrets, leurs peurs, leurs fantasmes, leurs joies aussi. Il y a des familles qui se défont et d’autres qui se recomposent. L’identification est un processus très compliqué. Le milieu social dans lequel évolue l’enfant doit le conduire petit à petit à comprendre l’interdit de l’inceste et à se séparer progressivement de l’amour de ses parents pour construire son autonomie psychique, amoureuse et sociale.

Cette saturation passe par des jeux d’identification, puis des refus et des oppositions. Elle n’est pas forcément garantie par un couple de parents hétérosexuels car il s’agit d’une maturation très complexe qui se développe à travers des influences multiples, dépassant largement le cadre familial proprement dit (…) l’enfant aura toujours la possibilité de se construire « normalement », de façon ouverte et variée, à condition qu’il ne soit pas stigmatisé par la Société, à condition qu’il ne soit pas considéré « pas comme les autres ». La non-reconnaissance de l’amour qui lie le couple, la discrimination de ces couples et de leur filiation, c’est cela qui est le plus délétère et le plus destructeur pour le devenir des enfants, comme l’était autrefois le rejet des « bâtards » ou celui des enfants de parents divorcés (…)

L’adoption et la PMA

Il reste le choix difficile de l’adoption ou de la PMA pour les couples homosexués (…). Dans le cadre d’un couple de femmes, la PMA existe déjà très clairement, malgré l’interdiction française : en 2007, près de 40 % des enfants vivant avec des parents homosexués avaient été conçus par PMA dans des pays limitrophes. Les études à l’étranger sont concordantes et plutôt rassurantes.

Cela est assez logique : le fœtus va se développer dans l’utérus de sa future mère, entourée de sa compagne ; à la naissance, le bébé ne sera pas surpris par les odeurs et les voix qu’il aura déjà perçues pendant la vie foetale ; cette continuité sensorielle favorisera l’attachement comme cela se passe aussi chez les couples hétérosexuels. Dans ce cadre, l’adoption de l’enfant par la compagne de la mère est un geste d’humanité envers ces deux femmes et envers cet enfant : c’est comme une « reconnaissance » d’un enfant qui a été désiré à deux… comme dans le cas des couples hétérosexués. Par contre, l’adoption par un couple de femmes risque d’être bien plus délicate s’il s’agit d’un enfant ayant déjà une histoire ailleurs, voire dans un pays lointain (…) cela existe aussi chez les couples hétérosexuels adoptants.

Dans tout cet imbroglio de définitions familiales bouleversées, tout est bien plus difficile pour les couples d’hommes (…) Pour l’homosexuel, tous les concepts explosent : à une époque de libéralisation de la femme, la « location d’un ventre » est choquante et il est sans doute utile que ce soit interdit en France pour éviter des dérives malsaines de marchandisation. Il reste alors l’adoption avec toutes les difficultés citées plus haut, probablement amplifiées par la situation inhabituelle.(…)

On voit bien que tout ce qui est craint chez les couples homosexués existe déjà chez les couples hétérosexués. (…) La perfection n’existe pas chez l’humain. Les parents se doivent d’être seulement « suffisamment bons » pour l’enfant. Faisons en sorte que notre Société soit également « suffisamment bonne » pour tous les enfants, y compris pour ceux qui vivent dans une situation inhabituelle. Je crains que tous les discours intolérants actuels soient plus pour protéger des convictions personnelles que pour protéger et aider l’enfant.”

 

Dr Marc PILLIOT, pédiatre libéral a Roubais, pédiatre attaché au pôle mère-enfant du CH de Tourcoing, membre de la Commission nationale de la naissance et de la santé de l’enfant.

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