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4 juillet 2012 3 04 /07 /juillet /2012 05:13

 

  Libération28 juin 2012 à 19:42 (Mis à jour: 29 juin 2012 à 10:53)
Sur l'auréole est inscrit «une femme qui ne veut pas doit refuser clairement». Un cliché que dénonce le CFCV.
Sur l'auréole est inscrit «une femme qui ne veut pas doit refuser clairement». Un cliché que dénonce le CFCV. ( Affiche du Collectif féministe contre le viol. DR)

Interview Le Collectif féministe contre le viol (CFCV) lance une nouvelle campagne d’affichage. Trois photos, pour trois situations où les viols sont courants : au travail, à la maison, et en boîte de nuit. Explications du docteur Emmanuelle Piet, présidente du CFCV.

Par KIM HULLOT-GUIOT

«Une femme ne s’habille pas sexy pour rien», «Une femme qui ne veut pas doit refuser clairement», «Une femme doit toujours satisfaire son mari». Voilà ce que l’on peut lire sur les auréoles surplombant la tête de trois hommes violeurs, mis en scènes dans une campagne d’affichage du Collectif féministe contre le viol (CFCV). Des phrases souvent entendues, utilisées pour dénoncer les «clichés machistes» qui culpabilisent la victime... et dédouanent le violeur. Le CFCV a également mis en place un numéro vert (1) pour recueillir la parole des victimes.

D’après l’Insee, plus de 75 000 femmes ont déjà déposé plainte pour viol, mais le collectif estime qu’elles pourraient être presque le double – de nombreux obstacles au dépot de plainte amenuisant ces chiffres. Le CFCV estime également que plus d’une femme sur six est victime d’une tentative de viol ou d’un viol, au cours de sa vie. Et pour le collectif, «rien ne devrait innoncenter un violeur». Sa présidente, la gynécologue Emmanuelle Piet, répond à nos questions.

Pourquoi cette campagne, aujourd’hui ?

Depuis sept ou huit ans, nous faisons régulièrement des campagnes. Aujourd’hui, nous nous attaquons aux stéréotypes sexistes, de type «elle l’a bien cherché», «elle n’a pas dit non», «elle était habillée trop court», qui pénalisent les victimes. C’est très lourd à gérer. On dit aussi que les victimes seraient des «jeunes femmes sexy qui travaillent dans la rue», pour ainsi dire, mais il n’y a ni âge, ni milieu socio-culturel, qui préservent une femme d’être violée... ni un violeur de violer. Et la société est implicitement complice de cela, quand elle permet la normalisation des clichés sexistes. Avec ces affiches, nous avons voulu dénoncer, à travers l’auréole, ce blanc-seing de bonne concience du violeur, que provoque ce sexisme : en réalité, les violeurs savent très bien ce qu’ils font.

Nous voulions aussi combattre l’idée qu’un viol «ça dure trois minutes et c’est fini». Mais non, cela peut affecter la vie des femmes de façon effroyable. Cela peut conduire à des dépressions lourdes, la perte d’emploi... Nous reçevons des appels de femmes de 90 ans qui ont été violées à 15 ans et que ça a affecté toute leur vie. Ce n'est pas juste trois minutes, cela peut affecter le vie des femmes de façon effroyable. Ça suffit.

Votre campagne porte sur des situations du quotidien, avec une mise en situation dans le cadre conjugal, celui du travail et dans une boîte de nuit...

Il est en effet très fréquent que les viols aient lieu dans ces cadres là. Rappelons qu’être violé(e) par un inconnu concerne à peine 15% des cas. Dans 30% des viols, c’est le mari ou le conjoint qui est en cause ! Et quand ils se retrouvent devant un tribunal, ils estiment que comme c’est leur femme, il n’y a pas viol. Au travail aussi – un lieu où l’on est supposé être en sécurité, les viols ne sont pas rares.

Avec le débat autour de la loi sur le harcèlement sexuel, on a d’ailleurs vu à quel point les politiques sous-estiment la question, en disant «vous n’allez tout de même pas sanctionner la drague lourde !». Et bien si, car c’est absolument inadmissible.

(«Une femme doit toujours satisfaire son mari»)

Vous visez à changer les mentalités pour arrêter de dédouaner les hommes qui ont violé quelqu’un...

Oui, car la société cautionne cela, sans forcément s’en rendre compte. Pendant l’affaire DSK, on a bien entendu les expressions «troussage de domestique», «il n’y a pas mort d’homme». Avec l’affaire Polanski aussi, il y a eu une tolérance maximum, ça a été un tollé des bonnes consciences ! Et dans l’affaire du pompier violé, on a parlé de complot, on a dit qu’il l’avait cherché. On marche sur la tête !

Nous voulons arrêter cela. Nous avions déjà participé à une campagne où l’on disait que «la honte doit changer de camp». Car par honte, la victime ne va pas toujours porter plainte. Et les familles des victimes doivent aussi évoluer : certains parents engueulent leurs filles, pensent que comme elles sont rentrées tard, elles l’ont bien cherché. C’est plus fréquent qu’on ne l’imagine, et ça n’aide évidemment pas.

C’est aussi les mentalités des femmes qu’il faut changer ?

Nous recevons en permanence des tas de femmes qui appellent, commençant pas dire : «vous allez me dire si c’est un viol ou pas». C’est dire qu’elles sont paralysées, elles n’arrivent plus à penser, à réaliser. Une femme a appelé l’autre jour, elle racontait qu’un collègue, avec lequel elle rigolait bien, était passé la voir dans son bureau alors que tous les autres bureaux étaient vides, et s’est mis derrière elle, se transformant tout à coup. Elle a été tellement sidérée qu’elle n’a pas pu réagir. Elle ne se méfiait pas, et c’est arrivé subitement. On est clairement dans un piège complet, d’autant que, tout de suite après, il a fait courir la rumeur que c’était une dévergondée.

Il ne faut pas sous-estimer ce qu’est l’état de sidération, un psychosomatisme immédiat. Les victimes se reprochent toujours la façon dont elles ont réagi, elles l’interrogent («j’ai crié», «j’ai pas bougé», «je lui ai mis deux coups et c’est pour ça qu’il est devenu violent» etc.) Mais on ne réagit jamais à une agression comme on pensait qu’on le ferait. Il est très important de comprendre cet état de sidération.

Vous dites que trop peu de victimes osent déposer plainte. Est-ce lié au fait que la plupart des viols se déroulent dans le cercle proche ?

C’est aussi parce qu’elles sont entrées dans le processus de culpabilité. Un viol s’accompagne souvent de menaces, de type «si tu parles je te tue». Les victimes de viol ont le sentiment de mourir sur place, elles sont terrorisées, et ces menaces intimident. Nous aimerions que l’ordonnance de protection datant de juillet 2010, qui concerne les femmes battues ou les mariages forcés, soit étendu aux affaires de viol. Quand votre voisin de palier vous a violée, quand une jeune fille se fait agresser sexuellement pendant un week-end d’intégration à la fac, elle se retrouve avec ses agresseurs dans sa promo toute l’année !

Nous en avons ras le bol que les crimes de viol soient correctionalisés. Et quand on sait que moins de 2% des violeurs sont condamnés, ca n’est pas étonnant que les victimes aient peur de n’être pas crues par la police, que l’affaire soit classée. Seulement 10% des victimes de viol portent plainte. Ca n’est pas acceptable.

(1) Numéro vert Viol Femmes Informations : 0800 05 95 95 (appel gratuit depuis un téléphone fixe)

(«Une femme ne s’habille pas sexy pour rien»)

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