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12 mai 2016 4 12 /05 /mai /2016 10:45

Il y a eu les "propos regrettables" du ministre des Finances Michel Sapin sur les sous-vêtements d'une journaliste, puis les accusations d'agression sexuelle et de harcèlement émises à l'encontre de Denis Baupin. Lundi, Mediapart et France Inter ont publié plusieurs témoignages d'élues d'Europe Ecologie-Les Verts (EELV) accablants pour le député écologiste de Paris.

Chaque année, les révélations d'agression et de harcèlement sexuels parmi la classe politique sont pléthore. Elles dépassent les clivages partisans et les différents niveaux de pouvoir, avec à chaque fois le même sentiment : l'impunité. Pour comprendre cette situation, francetv info a interrogé Catherine Le Magueresse, juriste et ancienne présidente de l'Association européenne contre les violences faites aux femmes au travail (AVFT).

Francetv info : Dominique Strauss-Kahn, George Tron et maintenant Denis Baupin... Comment comprendre la répétition des accusations d'agressions sexuelles chez les hommes politiques français ?

Catherine Le Magueresse : Il faut analyser le harcèlement sexuel en politique, à l'aune de ce qu'est la société française aujourd'hui : encore très sexiste, patriarcale et paternaliste. Les droits des femmes sont très récents. Avant mai 68 – qui est une date récente au vue des deux millénaires d'humanité – la femme était la propriété de son père puis de son mari. Depuis, les droits des femmes ont évolué, mais la femme n'a toujours pas acquis de respect absolu et nos institutions sont très en retard sur le sujet.

J'ai assisté à de nombreux procès d'élus jugés pour harcèlement sexuel, et le constat est clair : ils sont convaincus qu'ils ont accès au corps des femmes, que leur pouvoir leur permet tout. On ne peut même pas parler d'hommes malades, ils sont conscients de ce qu'ils font, mais pour eux c'est un droit qui permet toute transgression. Il y a une très grande tolérance sociale à l'égard des violences faites aux femmes, et cela commence par de simples mots.

Peut-on parler d'une "culture de l'impunité" ?

Certainement, et cette culture est "organisée". Il règne dans le milieu politique une culture de la blague "grivoise", qui s'inscrit dans une rigolade collective, banale et sans conséquences. Imaginez que les élus fassent de même avec des blagues racistes ! Il y aurait immédiatement un rappel à l’ordre. Pour les femmes, on considère que cela n'est pas grave. Le fait que la politique française soit exercée en grande majorité par des hommes blancs, sexagénaires, n'arrange évidemment pas les choses...

"Une main aux fesses ? Il n'y a pas mort d'hommes !", "Un regard appuyé ? C'est presque normal." Ceux qui tolèrent ces actes les relativisent toujours avec d'autres faits, alors que ce n'est pas comparable. Ils savent avec les précédentes affaires que ça ne les empêchera pas d'être réélus, alors pourquoi se priver ?

L'agresseur est très organisé. La plupart du temps, il va user de son pouvoir économique, comme le fait de licencier, de refuser un poste... Ou de son pouvoir social, comme le docteur André Hazout, qui a profité de l'état de détresse de ses patientes pour commettre des viols et agressions. On trouve moins de victimes en haut de la pyramide car elles ont le pouvoir de dire non.

Comment expliquer "l'omerta" qui règne à ce sujet au sein de la classe politique ?

On est dans l'entre-soi total. Les agresseurs sont protégés par leurs pairs car ils considèrent que ça ne les regarde pas, ou minimisent les faits pour préserver des intérêts politiques, comme la sauvegarde du parti, un poste d'élu... La plupart du temps, les agresseurs font tout pour être insoupçonnables, ils se dévouent corps et âme à leur métier, ils militent publiquement pour la cause des femmes...

Il n'y a qu'à voir Denis Baupin qui portait la cause des femmes en étendard ! Qui aurait pu le soupçonner ? Il n'existe absolument aucune régulation entre les hommes politiques, d'autant plus qu'il y a toujours une forte "solidarité masculine" qui se fait au détriment des femmes.

Pourquoi les victimes mettent-elles autant de temps à s'exprimer ?

On ne peut jamais savoir comment on réagirait lors d'une agression. Je vois bien les défenseurs de Denis Baupin qui se demandent "pourquoi ses victimes présumées n'ont-elles pas parlé plus tôt ?", "disent-elles vraiment vrai...?" Souvent, la première réaction lors d'une agression, c'est la stupéfaction totale, surtout lorsqu'on vient d'un milieu peu habitué à la violence.

D'après mon expérience, il faut un déclic pour que les victimes s'expriment : la multiplication de témoignages, un moment politique. J'ai le souvenir d'une femme agressée durant toute sa carrière par le même homme. Un jour, ce dernier, poursuivi par une autre femme pour les mêmes faits, est venu lui demander une attestation de moralité. Elle a tellement été éberluée qu'elle s'est décidée à témoigner au procès.

Etre une femme en politique est déjà un lourd combat ; pour accéder au pouvoir, pour y rester et pour se faire respecter. Nombre d'entre elles se disent que si elles répondent à chaque blague sexiste, elles vont perdre toute leur énergie. Elles ne veulent pas passer pour des victimes ou pour des "féministes de base", alors elles laissent passer, retardant encore plus toute dénonciation.

Avec l'affaire Baupin, c'est la première fois que des femmes politiques accusent un de leurs collègues...

C'est évidemment une bonne chose, les choses ont changé. On n'est plus dans une politique de l'alcôve comme dans les années 1970, où on parlait peu de harcèlement sexuel en politique, car les femmes menaient d'autres combats. Cependant, les sanctions sont encore trop faibles pour que ces actes cessent complètement.

La justice est-elle en retard dans ce domaine ?

Bien sûr ! La définition du harcèlement sexuel a mis des années à être établie et le délit a bien failli disparaître en 2012, lorsque Gérard Ducray, ancien élu du Rhône condamné pour harcèlement sexuel, avait obtenu l'abrogation de la loi par question prioritaire de constitutionnalité.

Même lorsque les élus sont condamnés, les magistrats prononcent rarement la peine complémentaire d'inégibilité ou de suppression des droits civiques. Lors d'un vol à main armée, l'arme est confisquée ! Ça devrait aussi être le cas pour les affaires d'agression sexuelle. On doit empêcher les élus de recommencer.

Le problème est que de nombreux juges considèrent que c'est au citoyen de juger l'homme politique, de savoir s'il peut être réélu. En gros, si l'homme politique est bon, on lui tolère le pire dans le privé. Il existe une vraie amnésie concernant ces faits, mais cela concerne aussi les faits de corruption.

A l'étranger, notamment dans les pays anglo-saxons, les scandales sexuels sont motif de démission. Pourquoi la France peine à faire de même ?

La culture de l'égalité entre les hommes et les femmes y est différente. Dans les pays d'Europe du Nord, c'est une évidence. Dès l'école, les enfants sont sensibilisés à ces questions. Je ne vois pas à quel moment un jeune Français peut apprendre la différence entre harcèlement et séduction, sauf à s'y intéresser personnellement ou à l'apprendre de son entourage.

Il n'y a qu'à voir la polémique sur l'Abécédaire de l'égalité qui a entraîné les rumeurs les plus folles... Les jeunes aujourd'hui sont souvent perdus entre cette supposée "séduction à la Française" et le respect des femmes. Tenir la porte à une femme ce n'est pas de la galanterie, c'est du savoir-vivre !

Toute cette culture se retrouve donc évidemment à l'âge adulte. Nous avons aussi une culture politique différente vis-à-vis de nos élus. Les anglo-saxons ont un principe fort vis-à-vis de ceux qu'ils élisent, la "redevabilité". Les Français n'ont pas cette même exigence malheureusement.

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Danièle Soubeyrand-Géry - dans femme