Article paru dans l'édition du 25.06.10
Le choix de Dov Zerah, proche de M. Sarkozy, pour diriger l'Agence française de développement
est controversé. A la clé, un budget de 6,2 milliards d'euros
e soupçon flotte sur l'Agence française de développement (AFD) depuis la nomination, le 2 juin, à sa
tête de Dov Zerah, conseiller maître à la Cour des comptes. Le n° 2 de l'agence, Jean-Michel Debrat, a été prié de quitter son poste. La secrétaire générale, Anne Paugam, serait remplacée par un
cadre de Géocoton. Le directeur de la communication, Henry de Cazotte, beau-frère de Dominique de Villepin, a été remercié sur le soupçon d'avoir orchestré l'impressionnante bronca qui a suivi la
nomination du nouveau directeur.
Car les appuis de Dov Zerah ont nourri bien des fantasmes sur la signification de son arrivée à la
tête d'une institution gérant la politique de coopération de la France, prêtant ou donnant un pactole de 6,2 milliards d'euros par an aux pays pauvres. Conseiller municipal de Neuilly, Dov Zerah
aurait été soutenu par Robert Bourgi, conseiller à l'Elysée et symbole de la Françafrique. Il serait proche de Karim Wade, le fils du président sénégalais.
Autrement dit, Dov Zerah aurait été nommé à l'AFD pour reprendre en main l'agence dont la puissance et
l'inclination à gauche énervent Nicolas Sarkozy. Il aurait reçu mission de mettre ses milliards au service des intérêts français et moins à des programmes sanitaires et éducatifs.
« La seule chose qu'on n'ait pas prétendu, c'est que je devais mon poste à la franc-maçonnerie ! »,
ironise l'intéressé. Son élection à Neuilly ? « Oui, mais sur une liste UMP dissidente. » Robert Bourgi ? « Je ne le fréquente pas plus que d'autres acteurs en Afrique. » La faveur de Nicolas
Sarkozy ? « Quand il était ministre des finances et moi directeur des Monnaies et médailles, il m'a dit : «Dov, tout le monde me dit que ça marche chez vous. Continuez.» »
Sa présidence du Consistoire israélite de Paris, dont il vient de démissionner ? « Né en Tunisie en
1954, fils d'instituteur qui enseignait «Nos ancêtres les Gaulois» dans le bled et pur produit de la méritocratie française, je me trouve aux frontières de trois civilisations et n'ai jamais eu
de difficulté à travailler avec l'Iran ou le Yémen. »
ENA, Trésor, où il s'occupe de la zone franc, représentation de la France à Bruxelles, où il traite
d'agriculture et d'aide, n° 3 à la Caisse française de développement, direction des cabinets de Michel Roussin (coopération), de Corinne Lepage (environnement) et de la commissaire européenne
Edith Cresson, direction de l'entreprise publique cotonnière CFDT-Dagris, puis des Monnaies, professeur à Sciences Po, conseiller maître à la Cour des comptes : ce classique parcours d'excellence
l'a conduit à faire trois fois acte de candidature à l'AFD. La troisième a été la bonne.
Cet énarque sanguin ne laisse personne indifférent. « A près Jean-Michel Severino, qui jouissait d'une
formidable légitimité, la «consolidation» qu'il annonce nous laisse sur notre faim ; il ne parle guère des biens publics mondiaux ou du réchauffement climatique », commente un chercheur de
l'agence.
A rebours, selon un ancien de Dagris, les cotonniers africains sont ravis. « Arrivé chez nous avec
instruction de privatiser, il a découvert le monde du coton et en est devenu l'un des plus vigoureux défenseurs, se souvient-il. Ses déclarations peu diplomatiques ne lui ont pas valu que des
amis, notamment chez les syndicats, qu'il n'avait pas peur d'affronter. »
Quant à l'ancienne première ministre socialiste Edith Cresson, elle applaudit la nomination de cet
homme de droite qui s'est montré un collaborateur « fidèle et chaleureux », un « travailleur pointilleux » et « pas un faux jeton ».
Le projet qu'il esquisse pour l'AFD le lave-t-il de l'accusation de vouloir user de l'agence à des
fins « sarkozyennes » ? Non et oui. Il entend « clarifier » les relations avec le gouvernement, « non que l'agence n'ait pas fait ce que celui-ci lui demandait, mais elle a donné l'impression
qu'elle s'autonomisait ». Pourquoi ne pas ajouter du bleu-blanc-rouge dans le logo de l'AFD, qui doit être « le bras séculier de son autorité de tutelle » ?
Il veut que l'action de la France soit « lisible » et prône plus d'aide bilatérale par rapport à
l'aide multilatérale, où l'on ne voit pas qui finance quoi. Faute d'argent, il ne veut pas « saupoudrer » les efforts et propose de les recentrer sur « l'Afrique francophone, la Méditerranée et
le Proche-Orient, l'ancienne Indochine et les pays où nos troupes sont en action ».
Il apprécie peu le « charity business » des Objectifs du millénaire grâce auxquels l'ONU souhaite
diviser la pauvreté mondiale par deux d'ici à 2015. « Il faut dépasser la compassion et revenir à la création de richesse et au développement agricole, qui évitent l'exode rural et l'émigration
», dit-il. Il dénonce les subventions des Etats-Unis et de l'Europe à leur coton, concurrence déloyale qui a contribué à diviser son prix par trois en trente ans et qui désespère le
Sahel.
« Ce qui bouleverse l'AFD, ce n'est pas tant que ses propos devant les parlementaires aient montré
qu'il ne connaissait plus l'agence, ni qu'on le sache fantasque et peu amateur de travail en équipe, conclut un de ses anciens collègues. C'est que personne n'arrive à comprendre s'il a un
dessein propre ou s'il est porteur des intérêts d'un clan. » De la réponse à ce doute dépendra le bon usage de 6,2 milliards d'euros voués à la lutte contre la pauvreté.
Alain Faujas
Article paru dans l'édition du 25.06.10