Ce n'est pas la jeunesse qui est hypersexualisée. Ce sont
les diktats du modèle dominant dont elle est forcément le miroir. Attention aux conséquences, avertit Jocelyne Robert, sexologue et auteure
québécoise.
Au moment d’écrire ce texte, dans une émission de radio parisienne à laquelle je
participais, on s’est offusqué que « les ados sont bien délurés sexuellement » et que ce phénomène de « l’hypersexualisation des jeunes est donc
épouvantable ! ». Au Québec, on a dit que c’était moi qui avais sonné l’alarme. Pourtant, je n’ai jamais parlé que de l’hypersexualisation de nos sociétés et de
l’espace public, et de l’impact de celle-ci sur nos enfants et adolescents.
Scènes XXX et sexe-porno se déclinent partout dans l’espace public. Il est de plus en plus
rare que l’on parle d’érotisme, de relation, de signification, de désir, de plaisir, d’attente, de consentement, d’éducation à la sexualité… C’est le sexe rigide et
focalisé, nombriliste et génitaliste, consumériste, mécanique et pressé d’aboutir, qui règne. ll a tassé sa frangine, la sexualité, qui, dans son coin, continue
d’embrasser les panoramas affectif, relationnel, sensuel, émotionnel et identitaire…
Le sexe, star médiatique
Hypocrite, prétendument démocratique et démocratisé, le sexe actuel a tout faux. Il se
réserve aux jeunes, riches et bronzés ; aux chairs fraîches, lustrées, épilées, liposuçées. Tantôt machines distributrices de pipes et d’orgasmes clinquants, tantôt
instruments au service de la machine, ses acteurs carburent aux dragées bleues alors que la sexualité a faim d’imaginaire, d’étonnement, d’insaisissable et de
signification.
Depuis une vingtaine d’années, le sexe en folie est transversal. Il a infiltré toutes les
sphères d’activités, a gagné l’espace public, s’est fait star médiatique :
- Des personnalités, de Tiger Woods à DSK, qui ont dû tenter de justifier, sur la place
publique, leurs frasques et délires sexuels ;
- Les médias qui font leurs choux, de plus en plus gras, des scandales et faits divers
sexuels les plus sensationnalistes ;
- Les magazines pornographiques qui s'annoncent pro-pédophiles ;
- La mode, la musique, les revues, magazines et clips qui s’épivardent (1) à sexualiser le corps des fillettes, à infantiliser celui des femmes et à présenter celui
des garçons comme des machines dépourvues d’émotion ;
- Les phénomènes exhibitionnistes via les webcams, sextos-ados, les photos
compromettantes envoyées au petit copain qui, désespoir et réveil brutal, se retrouvent sur la Toile…
Rappelons les récentes polémiques soulevées par certaines images publiées dans le
prestigieux magazine Vogue pour ne citer qu’un seul exemple ! (Pour les abonnés, notre article ici -
NDLR).
"Formation" sur internet
Quant au Web, véritable terrain de jeu des ados (et hélas aussi des pédophiles et des
pornographes), non seulement il offre les images XXX gratos mais il les fait « popper » à l’infini sur les écrans. Internet est devenu LE lieu d’éducation sexuelle des
enfants et des adolescents. Bref, il n’y a pas que des adultes qui, les yeux bouillis par les cristaux, contemplent des inconnus qui forniquent sur le net. Le bar est
ouvert : triple pénétration, éjaculation faciale, violence, gang bang, cris primaux pseudo-orgasmiques… Et, trop souvent, nulle personne significative près du jeune pour
expliquer que tout cela c’est de la frime, un marché, un cirque, un commerce florissants.
Il faut voir les garçons et les filles auprès desquels j’interviens, lorsque je déconstruis
avec eux le spectacle porno. Il sont tout yeux, tout oreilles, en redemandent. Un peu plus et ils se laisseraient aller à pousser, en chœur, un grand OUF de
soulagement !
Pour se développer, les enfants intègrent à leur personnalité les
caractéristiques de leur sexe, telles que définies par leur milieu. À l’adolescence, la sexualité devient le terrain privilégié d’affirmation de leur autonomie, de
consolidation de leur identité sexuelle et de genre. Ils adoptent, pour se prouver à eux mêmes et montrer aux autres qu’il sont des « vrais gars » ou des
« vraies filles », les conduites et comportements qui leurs sont proposés dans leur environnement sans toujours réaliser qu’ils leurs sont, hélas, imposés. En
plus de baigner dans des univers clinquants de sexe, ils complètent, très souvent, leur « formation » sur Internet. Là, ils nourrissent leur imaginaire érotique
(si tant est qu’on puisse parler d’érotisme) et se confortent encore un peu plus dans leur perception de ce que sont la masculinité et la féminité. Cela, au carrefour de
l’adolescence, alors que le profil érotique et la personnalité psycho-sexuelle sont une cire chaude, docile, prête à se laisser mouler, à prendre forme.
Femmes fatales à 8 ans
Il y a une vingtaine d’années à peine, les enfants de 11 ou 12 ans que je rencontrais se
demandaient comment se rapprocher de l’autre, comment plaire à l’autre, comment bien embrasser et se questionnaient sur leur puberté. Aujourd’hui, ils veulent
s’instrumenter, convaincus de leur nullité s’ils ne sont pas très vite des masters du sexe. Ils réclament un Kama Sutra ado.
Il n’y a pas si longtemps, on jouait au papa et à la maman. Aujourd’hui, on joue
aux femmes fatales à 8 ans. Britney Spears, l’un des modèles par excellence des fillettes des deux récentes décennies, n’a-t-elle pas chanté One more
time, dans une sorte de transe pseudo-orgasmique, devant des bambins et bambines en pâmoison ? Inutile de transcrire ici le verbatim des contenus
explicitement sexuels, violents et misogynes, scandés dans les chansons rap qu’entendent et fredonnent vos enfants dès la petite école.
Je maintiens, malgré ce que je viens d’écrire, que ça n’est pas la jeunesse qui est
hypersexuelle. Ces jeunes filles et garçons sont le reflet de nos sociétés, cultures et civilisations qui elles, les hypersexualisent, comme elles sexualisent et
hypersexualisent tout. Ils sont notre miroir.
Comment un tel vacarme, un tel tapage porno, pourraient-ils être sans conséquence sur de
jeunes êtres humains qui grandissent, malléables, en quête d’identification à des idéaux de genre, qui ont un criant besoin de s’affirmer, de se conformer et de performer
pour être reconnus ? Il y a impact. Et il est fulgurant.
Effets pervers démultipliés ?
À 14-15 ans, ils croient que tout est possible, que tout est souhaitable, que tout est
acceptable. Même la violence amoureuse, même le contrôle affectif, même le viol collectif… La sexualité de groupe ? La bestialité ? L’échangisme ?
Pfft ! Il n’y a rien là ! Ou presque.
Des retombées nouvelles commencent à poindre. Des situations autrefois anecdotiques se font
de plus en plus fréquentes. Les spécialistes de la sexualité observent l’arrivée en nombre de personnes jeunes, aux prises, qui avec un érotisme dysfonctionnel, qui avec
des incapacités relationnelles ou une dépendance sexuelle ou à la pornographie. Certaines consultent pour se débarrasser de ce qu’elles considèrent comme une
aliénation ou une forme de toxicomanie.
L’embonpoint sexuel de nos sociétés démultipliera-t-il les effets pervers et les problèmes
sur les adultes de demain ? Les hommes seront-il de plus en plus nombreux, et de plus en plus jeunes à ne plus s’émouvoir érotiquement s’ils ne « se
démarrent » pas d’abord avec des scènes porno ? Des femmes, désillusionnées, lasses du faire semblant, du devoir d’orgasme et de l’obligation d’être
la parfaite technicienne sexuelle, souffriront-elles de plus en plus de manque de désir ? De troubles d’estime de soi ? Elles commencent, quitte parfois à mettre leur
« relation » en péril, à refuser de se prêter au jeu, à refuser d’être perçues comme de stricts orifices à remplir. Se pointe, semble-t-il, et cela est
joyeux malgré la souffrance, un ras-le-bol, pour lui comme pour elle, du devoir performer sur commande !
Leur proposer un autre modèle sexuel, relationnel plutôt que
consumériste
Ce monde dans lequel les enfants sont bombardés d’images sexuelles explicites, non conformes
à leur âge et à leur stade de développement psycho-sexuel, parfois sans avoir jamais parlé de sexualité avec leurs parents ou reçu d’éducation sexuelle scolaire structurée
et limpide, ancrée dans des valeurs humaines, humanistes et humanisantes, me paraît bien biscornu.
Au jour d’aujourd’hui, c’est hélas bien souvent lorsqu’on constate qu’ils ont bien assimilé
les diktats du modèle dominant et qu’ils en adoptent les conduites que l’on prend conscience qu’on a failli à notre devoir. Devoir de rivaliser avec le message ambiant,
devoir de leur proposer un autre modèle sexuel, un modèle sexuel relationnel plutôt que consumériste, qui n’exclut pas le droit au plaisir. Il est alors un peu tard mais,
à la condition expresse de cesser de nous aveugler en nous offensant de leurs conduites et en reconnaissant notre responsabilité, il n’est pas trop tard.
Après tout, ce ne sont pas eux qui ont égaré le sens de la fête et de l’émerveillement, la
fantaisie, le mystère, le goût et le respect de soi et de l’autre, la dignité. C’est nous qui avons omis de les leur proposer. La liberté sexuelle, c’est le
contraire de se soumettre. Puissions-nous en témoigner !
Jocelyne Robert, sexologue et auteure
Photo © Laurence Labat
Le site de l’auteure : http://jocelynerobert.com/
Ouvrages de Jocelyne Robert :
"Le sexe en mal d’amour - De la révolution sexuelle à la régression érotique"
(Essai ; pour adultes)
http://www.editions-homme.com/sexe-en-mal-amour/Jocelyne-Robert/livre/9782761919470
"Full sexuel- La vie amoureuse des adolescents" (Éducation sexuelle et affective
des ados ; pour ados)
http://www.editions-homme.com/Full-sexuel/Jocelyne-Robert/livre/9782761916516
"Parlez-leur d’amour et de sexualité" (Essai et guide pratique en éducation
sexuelle ; pour parents et éducateurs )
http://www.editions-homme.com/Parlez-leur-amour-sexualite/Jocelyne-Robert/livre/9782761915267
Collection "Ma sexualité", 3 tomes destinés aux enfants de 0-6 ans, 6-9 ans, 9-11
ans
http://www.editions-homme.com/sexualite-0-6-ans/Jocelyne-Robert/livre/9782761920469
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